Charger les nichons

      Un théâtre - le théâtre pensé pour "Incroyable !" - est un espace qu'un mot remplit, qu'un son anime, que l'activité de la coulisse fait bouillonner, qu'un spectateur vient occuper... Et puis quelques fantômes plus ou moins prestigieux, quelques apparitions, quelques visiteurs singuliers sont mis à l'honneur... Je n'ai pas cherché à faire vivre par son vocabulaire particulier le lieu théâtre où évolue Hilflos Henshall; ce vocabulaire fournit au fil du temps par les techniciens et les artistes du spectacle... Ce serait aussi une piste de création: embarquer dans la salle comme dans un navire et faire renaître les termes propres aux théâtres - ceux qui demeurent comme ceux qui ont disparu -. Pourquoi pas aussi créer un nouveau langage ? Faire parler les machines ?... Alors je me suis replongé dans le "Dictionnaire de la langue du théâtre"...

    Si "Incroyable" y figurait, il se trouverait entre "Improvisations" et "Indications scéniques"... Bon... Mais pas de "Incroyable" dans le dictionnaire, ce qui prouve que tout est vrai sur un plateau, au fil des coeurs battants; tout y apparaît comme si tout était croyable... "Dire "Incroyable !" bouleverserait tout... Imaginez le mieux placé: le Pape ! Pape qui dans la grotte de Bethléem, contre toute attente, déclare : Incroyaaaaaaaaable ! Vous imaginez l'étonnement ? La panique ? Les médias ?" (H.Henshall, page 9)

     Au hasard des 600 pages du dictionnaire, je tombe sur cette expression (jamais entendue): "Charger les nichons"... et je m'empresse de vous en donner la définition: "Dans le vocabulaire des machinistes, équivalent imagé de "Charger à l'amoureuse", autrement dit: descendre tout doucement un élément du décor, sans faire d'à-coups. Cette expression, familière, à la limite de la vulgarité, a été créée par les machinistes les plus expérimentés de la profession: ceux des Folies Bergères. Dans les années 1960-1970, les Revues employaient des filles déjà mûres, aux seins tombants qui, placées sur plusieurs rangs faisaient de la figuration. Elles avaient pris l'habitude de remonter leurs Avant-scènes avec du sparadrap. On imagine combien "l'installation" pouvait être précaire. Le moindre mouvement pouvait la compromettre et faire tomber les seins. C'est pourquoi les machinistes, toujours blagueurs et inventifs, ayant l'esprit d'équipe, ont proposé à la place de "Tu me le fais à l'amoureuse": "Ne me charge pas les nichons !"

     Et ça me fait penser dans une autre dimension à la marionnette du Père Ubu construite par Jarry, au jus de langage sortant de la bouche d'Artaud, à l'ombre de Beckett se détachant de l'écorce de l'arbre de "En attendant Godot"... Tout ça superposé forme un étrange personnage, un géant qui aurait tenté, tenterait encore d'enfiler - par à coups au fil du temps - le costume du théâtre et qui pour mieux exister se serait - non pas accroché aux cintres - mais rendu invisible... Le secret de tout comédien serait d'y apporter quelque chose qui entretienne et fasse évoluer cet indéfinissable personnage?  De jouer ce jeu sans fin ? De charger doucement le nid ?

     En attendant, je me concentre dans ma machine à rêvermeiller ! 

Comments

[Thérèse des EAT]

J'apprends, j'apprends et je m'instruis...

Chargeons, chargeons ces nichons que nous ne saurions voir dans la machine à rêvermeiller qui ressemble à une gigantesque minerve (sans armure, ni casque, ni lance) mais qui, selon Rabelais, désignait le siège de l'intelligence et des facultés intellectuelles...

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