Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Incroyable !
5 décembre 2014

Inventer des machines

     Machines, machineries, "C'est machin qui joue" , "Il mâche ses mots..."... Au théâtre on mâche pas mal et parfois pour le comédien c'est mâche ou crève ! Oui, je sais, le jeu de mot semble prendre le pas sur le sens, mais figurez-vous qu'être sur scène est comme un besoin physique, vital du comédien qui, éloigné des plateaux longtemps, s'en trouvera bien malade aussi bien dans sa tête que dans son corps.

     Et entre mâcher et marcher il n'y a qu'un pas, qu'un coup de dent ! Souvent, spectateur arrivant à l'heure, je me suis vu mâchonnant le titre du spectacle, le nom de l'auteur en grimpant les marches de la salle de théâtre. Avez-vous eu cette impression aussi d'une ascension déterminée quand il s'agit d'aller s'installer au milieu ou au fond de la salle (sensation que le notable dont la place est réservée au premier rang ne connaîtra jamais) ? Déterminée et vaine. On grimpe, on s'élève et en même temps on fuit ce qui nous attire: la scène et son programme. On trouve son rang, on dit des "Pardon !" de vagues "Bonjour !" et on s'assoit, on s'arrête, on s'impatiente déjà... Mais il faut accepter dans le lieu un autre rythme que le sien propre, un rituel; il faut attendre que ça commence: la salle est une loge que nous ne quittons pas de toute la représentation !

     Et pareil quand la séance est finie: on se lève, on a fait le plein de sensations, de critiques, d'allergies et on descend, on redescend vers la scène comme pour aller vers ceux qui juste avant s'exprimaient, mais il n'y a plus personne, scène dévastée par l'absence de corps ou même rideau tiré... On va vers le quotidien, on se dit que quelque chose est changé. Au passage dans le hall on aimerait bien attraper une grappe, un groupe et, non pas discuter, mais reprendre, continuer la pièce, en faire une autre... Non, ce n'est pas possible, et puis l'agent de sécurité montre en main, crâne rasé, bottes de crs vous en dissuade de toute façon.

     On a mâché pour vous des mots, des images, des sons, vous marchez dans la rue en cherchant à suivre l'écho de tout ça qui doit bien se propager quelque part au-delà de vous... Vous avez envie de dire aux personnes que vous croisez: "Vous y étiez ?", ou "Vous n'y étiez pas ?"... Vous aimeriez reconnaître dans la voix du badaud l'intonantion d'un acteur de tout à l'heure... Bref, vous aimez le théâtre, il compte pour vous; et après ? Vous écrivez quelques lignes, vous racontez à quelques amis, et puis vous rangez l'affaire dans un coin de votre mémoire de spectateur.

     Le plus solide sur la scène, à côté de ce qui est "mâché", c'est la machinerie qui est le corps vivant du lieu théâtre. La machinerie brute habillée de lumière lors de la représentation, la machinerie greffée - le décor - sur le squelette du théâtre. Tout ça tient au souci de l'équilibre, de la mise en place du "mieux parlant" qui fait la scénographie. N'a-t-on pas vu, hélas des si grands plateaux avec de si grands décors où les comédiens (parfois des grands) paraissaient des gens au loin errant dans une ville ? Autant se promener dans la vraie ville ! 

     Une oeuvre est faite d'artifices mais chaque artifice a sa propre, j'allais dire: "personnalité" ! Et puis l'insolence des objets ! "Quand je pense que cette bassine en plastique va me survivre !", m'avait dit lors de sa venue à Laval pour "Les Bouses", Jérôme Deschamps !... Puisque maintenant la visite des théâtres entraînée par quelque médiateur (trice souvent) culturel est intégrée aux visites de patrimoine (est-ce parce qu'on va vous faire visiter une église que vous irez à la messe ?), ce serait quand même pas mal qu'on mobilise techniciens et décorateurs qui travailleraient, éventuellement parleraient... Et ça serait pas mal aussi que lorsqu'un décor est installé, endormi avant la séance du soir, un comédien (ou un spectateur) soit là, à son chevet, et lui parle: de lui, d'autres décors... De faire ainsi un lien, une chaîne qui n'en finirait jamais : l'écho retrouvé de la représentation.

     Le timing de la visite ne permettrait sans doute pas qu'on s'attarde à écouter ce type parler tout seul dans l'ombre à un décor... Il faudrait plutôt que le théâtre soit ouvert et comme ça, quiconque passerait pourrait entendre le temps qu'il voudrait le monologue improvisé de l'acteur... Ah oui, mais c'est vrai: toute entrée d'une personne étrangère au théâtre oblige la présence d'un agent de sécurité ! Alors ça, évidemment, ça gâche tout ! Où alors il faudrait que le type qui parle au décor soit un agent de sécurité (un faux qui aurait l'air d'un vrai, comme au théâtre)... Du coup on pourrait retrouver naïvement plein d'espoir (mais qu'est-ce que ça ferait du bien !) en se disant que ce type, là, machin, agent de sécurité, eh ben le théâtre, il en a vachement profité et il en profite toujours ! Le renouvellement du public, le retour, l'arrivée de spectateurs qu'on aurait dit éloignés du théâtre (Tiens ! Pourquoi au fait ?), n'est-ce pas le rêve qui entretient la chance de voir un théâtre et une salle vivants ? La magie - si rare -  s'est produite il y a quelques semaines avec "The Roots" de Kadher Atou ! Et quand à vingt deux heures l'agent de sécurité a fermé les portes c'était la douche froide, c'était "Chut ! Rentrez chez vous braves gens !"...C'était parler sur les marches du théâtre.

     La première scénographie d'un théâtre, ce sont ses portes. Ouvrons les portes des théâtres ! 

Ci-dessous, Olivier Borne testant son système d'isolation scénographique.

avec olborne dans machine

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Incroyable !
  • Suivez l'aventure d'une création théâtrale atypique à J - 79 ! Il s'agit de "Incroyable ! - Un homme qui parle - " de François Béchu qui sera créé au Théâtre de Mayenne le 20 janvier 2015 et le 23 à Changé. Une production du Théâtre de L'Echappée (Laval)
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Derniers commentaires
Newsletter
37 abonnés
Publicité