L'inventurière

     On peut toucher aux étoffes comme on goûte à un vin, comme on regarde un ciel (même pas forcément breton). Notre sang respire tout ça. L'artiste est celui qui va plus loin dans cette relation et jusqu'à la folie parfois. Il enchaîne l'étape suivante qui est celle de la réalisation: il va se faire un vêtement, boire un verre, prendre une photo puis digérer tout ça, le retraiter, le sublimer, lui faire avouer ce que lui-même ne soupçonnait pas...

      L'esprit, le corps se parent, et puis plus tard, beaucoup plus tard, c'est le placard de la mémoire qui s'ouvre tout seul, tout grand.

    La particularité du costume de théâtre - du costume inventé et créé et non celui qui est reproduction - c'est qu'il est le résultat de mille connexions, je n'exagère pas. Ces mille connexions apportent chacune un reflet et de tous les reflets en naît un, nouveau, connu de personne et qui, associé à une forme fera exister un morceau de tissu - qui aura peut-être sommeillé, rêvassé lui-même dans un autre placard (celui qui est juste en face du placard de la mémoire). Cette alchimie usant de l'évidence comme d'un rêve délivrerait un objet comme pour un musée si le théâtre n'était pas là pour le propulser à la lumière et le mettre en pleine vie en lui glissant un coeur: le costume dit au corps "Je me glisse un coeur !" Si le costume arrive jusqu'à nous avec tant de présence c'est qu'il est issu (faire la liaison) d'une intelligence et de doigts agiles.

     Quand Hilflos Henshall dit "qu'il n'y a rien de plus triste qu'un costume qui ne jouera plus", c'est parce qu'il n'y a rien de plus merveilleux qu'un costume qui va jouer !

     Hommage à toutes les costumières, à tous les costmiers du monde.

   Le lieu de stockage des costumes où s'observent sans rien dire des personnages fantômatiques, le costumier, peut représenter à lui seul le théâtre : il contient les rêves et l'histoire des rêves, les traces de l'effort, de la sueur, les poudres coquettes, les maquillages teigneux, les billets et gruges oubliées, les odeurs persistantes des teintures, l'anti-mite enfin. Au fond, c'est un peu facile et bête, mais le théâtre change de sexe: il commence avec le mythe et termine avec la mite. On saute d'un mot à l'autre en une décennie ou deux d'une compagnie - un grand écart - mais le son est resté le même; un écho double, infini, pour mieux perdre acteurs et spectateurs dans dess rêveries...

     Tout ça pour vous dire qu'il a fallu imaginer un costume - deux même - pour Hilflos Henshall. Disons sans être trop précis qu'il y aura mue pour découvrir "la peau du personnage", comme on dit. Et là, ce n'était plus une costumière qu'il fallait, mais une "inventurière", comme elle se définit d'ailleurs elle-même... L'inventurière (l'inventrice, couturière, costumière, coutumière du fait de coudre, femme d'inventaire, inventologue..) que j'ai la chance de connaître mêle plusieurs qualité dans le même temps: les idées, le coup d'oeil, la connaissance du matériel, la vitesse d'exécution... "Rapidité ! Rapidité !", comme disait François, le facteur de "Jour de Fête". Avec Jacqueline Jacques (un nom d'emprunt), l'affaire du gilet de Hilflos Henshall est devenue un jeu d'enfant, et j'ai eu l'impression en le voyant sur le mannequin qu'il jouait avant moi ! Alors qu'il n'était pas encore tout à fait fini !... D'où une légère moue de ma part, mais vite effacée par la perspective de la complicité à venir.

     Gloire à l'inventurière*

*Je me demande si ce n'est pas la même qui a eu l'idée et qui a réalisé le Bag'n watts, primé au Concours Lépine 2014 ?