- 58 au Royaume de la Création, dans mon souvenir il fait déjà moins froid.

     Outre que notre salle de répétition bricolée ne soit pas chauffée et que donc nous sommes tous enrhumés, ça va !

     On fait mine que le froid c'est rien (oui, on parle mal avec le nez qui gratte et coule !): c'est réchauffant d'être comédien sur un plateau quel qu'il soit... mais c'est vrai qu'au bout de deux heures on ne tient plus ! On a eu la malice d'aller boire un café histoire de dégriper la machine; un café et pour certains un grog... "Qu'est-ce que vous appelez un grog ?" ce sont-ils vus répondre sur le ton du gars qui sait comment on parle la science ! Arnaud a détaillé la recette. Finalement, et après réflexion, non il n'avait "...pas ce qu'il faut... à part l'eau chaude !"... C'est déjà ça, remarquez, mais c'est un peu juste quand même pour des gens qui prétendent exercer leur goût partout... Pas grave, y'en a qui aimeraient bien avoir de l'eau chaude ! Est-ce que je m'éloigne du sujet qui est là pour que je le rende apêtissant ? Euh... "Qu'est-ce que vous appelez un spectacle ?" Ah ! On a tous ou presque - enfin vous qui lisez ça - un dictionnaire pour bien expliquer ce que c'est un spectacle,; eau chaude à tous les étages... Mais après ? Est-ce qu'aller au bout d'une pièce participe (acteurs et spectateurs) de la même folie que le coureur qui va améliorer son record d'un dizième de seconde, d'un centimètre ? Gérard Philippe, le public l'attendait comme un champion, et d'ailleurs c'était plutôt son personnage qu'on attendait que lui-même... Aujourd'hui (dans cette ère du "tout à l'égo" comme dit Régis Debray) qui attend quoi du théâtre ? Non, je ne vais pas la jouer à la "c'était mieux avant" ni à la "de toute façon maintenant", tout simplement parce que je suis persuadé qu'il y a dans le théâtre "en direct" une recette écrite nulle part, jamais, mais dont chaque spectateur connait ou presque (bis) la composition ! D'accord, certains ne mettent pas les mains dans la graisse, n'empoifnent ni couteau ni fourchette et ne goûtent que du bout des lèvres... mais qui dit qu'ils oublieront ce goût étrange qu'on ne trouve pas ailleurs ? Et s'ils en oublient l'origine, alors tant pis !

    Est-ce pour ça que je sors du froid de la salle et que je ressors du troquet sans grog, non pas en grognant mais avec le coeur chaud ? Oui, sans doute. Le théâtre c'est du partage nuit et jour, des lignes lancées, des fils de fer au-dessus de nos rêves: installons notre couverture sur les étoiles et écoutons le monde ! "Une oeuvre, on sait à peu près d'où elle part, mais on ne sait pas où elle va. Ce que je sais, c'est qu'elle ne revient jamais là d'où elle est partie; une oeuvre c'est une aventure de l'esprit", comme dit Ionesco, cet ancien petit voisin de La Chapelle-Anthenaise, à une petite galaxie d'ici ! (Que de noms précieux autour d'un texte répété pour le théâtre, noms d'anges et de démons !)

     Une oeuvre de l'esprit, une quête permanente d'humanité... les grands mots sont aussi de justes ambitions, à la mesure, à la portée e chacun: être, être d'abord en est l'essentielle... Le plateau, le froid... "On reprend où ?", dit-on, comme si nous avions arrêté quelque chose, arrêté le courant de notre sang ! De la malice, vous dis-je, en pensant que ce billet aurait pu tout aussi bien s'intituler: Bulletin de santé d'un jour de répétition.